Comment l’Europe perd la boule

Le bon chemin pour l’Europe n’est pas de renouer avec l’autoritarisme passé, ni exotique, mais de restaurer quelques règles démocratiques

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Comment l’Europe perd la boule

Publié le 19 novembre 2011
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Le bon chemin pour l’Europe n’est pas de renouer avec l’autoritarisme passé, ni exotique, mais de modifier quelques règles du jeu de la démocratie, de manière à restaurer son efficacité.

Par Guy Sorman

Pire que la récession économique, depuis 2008, ont été les réactions irrationnelles et excessives à cette crise. La démission simultanée de la classe politique toute entière, en Grèce et en Italie, ne sont que les symptômes d’une menace sérieuse à la fois sur nos économies, notre démocratie et notre Europe. Il est grand temps de retrouver ses esprits et de proposer des analyses à la fois raisonnables et applicables, à la mesure de la crise : ni réaction excessive, ni démission, mais un retour au sens commun.

Rappelons tout d’abord que la crise financière de 2008, née aux États-Unis, était grave mais pas mortelle et, en tout cas, d’une intensité très inférieure à ce que le monde avait connu en 1930 et en 1974. La récession ne dure et ne s’aggrave qu’en raison des remèdes disproportionnés qui furent appliqués depuis 2008, à l’initiative du gouvernement des États-Unis : une relance par la dépense publique que, par paresse de l’esprit sans doute, les Européens ont suivi. Cette relance, nous assurent les ultimes Keynésiens, nous aurait épargné le pire : la récession aurait été plus profonde encore si les États n’y avaient pas englouti l’argent des contribuables ! On ne pourra jamais prouver l’efficacité théorique de la relance, mais nous avons la preuve incontestable sous les yeux, que son prix a dépassé les ressources disponibles aux États-Unis comme dans l’Europe du Sud.

Soyons honnêtes : les déficits publics ne sont pas seulement la facture de la relance. Celle-ci s’additionne à des années de gestion laxiste qui conduisent à s’interroger sur le fonctionnement même de nos démocraties. Celles-ci vivent à crédit, en permanence, non pas pour « stimuler » l’économie mais pour acheter les suffrages des électeurs. C’est bien la multiplication des promesses électorales et la création d’emplois publics sans nécessité absolue qui, d’année en année, creusent les déficits, quel que soit le parti politique au pouvoir. Pire, chaque élection conduit à une surenchère. Pire encore, les avantages sociaux en tout genre, dont bénéficient les Européens et que les Américains nous envient, furent configurés à une époque où la démographie était dynamique et la croissance forte. Les politiciens pouvaient donc multiplier les promesses puisque la génération suivante, plus nombreuse et plus prospère, serait à même de rembourser. La tendance démographique et économique s’étant inversée, le remboursement de la dette est devenu mathématiquement hors d’atteinte, sauf à s’endetter encore plus à des taux d’intérêt qui s’envolent.

Dans ces circonstances, les dirigeants des  grands partis italiens et grecs ont choisi de déserter et de s’en remettre à des technocrates. Ce qui est particulièrement troublant dans ces deux pays qui ont une tradition pas si ancienne d’autoritarisme, fascisme en Italie et dictature militaire en Grèce. Devrait-on  aussi s’inquiéter pour la démocratie espagnole ? Par-delà le risque théorique encore, d’une tentation autoritaire, on observera que le recours à des technocrates ne résoudra rien : ceux-ci ne disposent pas d’élixir magique qui ferait disparaître les dettes. Ils devront agir exactement comme le ferait un gouvernement démocratique, en réduisant les dépenses publiques de manière à libérer l’investissement privé, et en ramenant les protections sociales à un niveau compatible avec les contraintes démographiques et les ressources disponibles. Le seul avantage théorique  du technocrate, c’est que, n’étant pas élu, il peut se permettre d’être impopulaire. Raisonnement étrange qui disqualifierait toute forme de démocratie : car, en principe, un gouvernement démocrate devrait être plus légitime que la technocratie pour expliquer d’abord, et appliquer ensuite, des mesures indispensables au bien-être collectif.

La rue grecque ou italienne va-t-elle s’assagir parce qu’un technocrate plutôt qu’un démocrate imposera, par exemple, un décalage de l’âge de la retraite ? La technocratie, sans la force, sera évidemment réfutée : le « modèle chinois », qui devient populaire dans certains milieux d’affaires en Europe, en raison de ses succès économiques apparents, ce n’est pas la technocratie ni le despotisme éclairé, mais la technocratie appuyée par l’armée et la police.

Le bon chemin pour l’Europe n’est pas de renouer avec l’autoritarisme passé, ni exotique, mais de modifier quelques règles du jeu de la démocratie, de manière à restaurer son efficacité. En d’autres termes, il convient de protéger la classe politique contre l’irrésistible tentation de dépenser pour gagner les élections ou s’éterniser au pouvoir. Cette immunisation contre la dépense exige une interdiction constitutionnelle qui devrait être générale dans l’Union européenne : un plafond contraignant de la dépense publique en proportion de la richesse nationale. Cette proposition est distincte de l’amendement proposé  (en 1970, aux États-Unis, par Milton Friedman) pour un budget nécessairement équilibré, proposition récemment reprise en France, par Nicolas Sarkozy sous le nom de « règle d’or ». Mais cet amendement n’est pas cohérent puisqu’il suffirait d’augmenter les impôts pour équilibrer un budget. Le plafonnement de la dépense publique serait la véritable contrainte, salvatrice de l’économie et de la démocratie. La situation de départ en Europe étant variable, entre 40 et 52% de dépenses publiques, la convergence vers un plafond unique devrait être progressive, en commençant par un gel de la dépense, la première année. On objectera que cette règle constitutionnelle serait une atteinte à la liberté parlementaire, à la souveraineté nationale, etc. Mais on a entendu les mêmes protestations contre la création de l’euro, qui a effectivement interdit aux gouvernements de battre monnaie, sans limite. La création de l’euro, rappelons-le, a libéré l’Europe de la peste de l’inflation, qui était un impôt sur les plus pauvres et les plus âgés. L’euro a ensuite permis de développer des investissements publics et privés considérables, grâce à des taux d’intérêt plus bas que du temps des monnaies nationales. La situation s’est inversée, non pas en raison de l’euro, mais par suite à la transgression des règles budgétaires qui étaient pourtant inscrites dans les traités européens.

De nombreuses voix s’élèvent donc, en Allemagne en particulier, en faveur d’un Ministère des Finances unique pour l’ensemble de l’eurozone. Nous n’en sommes pas là, en tout cas pas encore : rien ne sert d’avancer des propositions fédéralistes puisque l’on sait par avance que les opinions nationales n’y sont pas disposées. Mieux vaut débattre de solutions acceptables : ainsi pourrait-on rétablir les règles de bonne gestion, communes, non pas en privant les États membres de leur souveraineté, mais en instaurant une véritable autorité judiciaire européenne qui ferait respecter ces règles. Une Cour économique européenne qui veillerait à la transparence des comptes publics, à l’adoption d’amendements constitutionnels dans chaque État pour contenir la dépense publique, qui pourrait sanctionner fortement les contrevenants – ne serait-ce qu’en les dénonçant – ceci serait acceptable par les opinions publiques, compatible avec la démocratie et les souverainetés nationales.

L’Euro et l’Europe en sortiraient renforcés, sauvés, en vérité, par le gel constitutionnel des dépenses et par la Cour économique : ces propositions simples contournent les dilemmes en cours, tels que « démocratie ou technocratie », et « dilution de l’Europe ou Fédération immédiate ». La fin de la crise passe, me semble-t-il, par l’imagination institutionnelle, ce qui, depuis son origine, a été la marque distinctive de l’Union européenne.

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En complément, visionner la vidéo : Guy Sorman – G20, l’échec des idées keynésiennes

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