Coup de grisou à Zurich

Il y a un mois, la Banque Nationale Suisse provoquait une petite panique sur le marché des changes

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Coup de grisou à Zurich

Publié le 14 octobre 2011
- A +

Il y a un mois, la Banque Nationale Suisse provoquait une petite panique sur le marché des changes. Quelle mouche a donc bien pu piquer nos voisins helvètes qui brillent pourtant d’habitude par leur calme et leur modération?

Par Georges Kaplan

La Banque Nationale Suisse située à Berne

Le 6 septembre dernier, la Banque Nationale Suisse provoquait une petite panique sur le marché des changes en fixant le cours plancher du franc suisse face à l’euro à 83,3 centimes d’euros pour un franc suisse. Alors que le franc suisse s’échangeait à 90 centimes d’euros le 5 septembre, il ne valait plus que 83,1 centimes le lendemain ; une chute de 7,7% dans la journée – autant dire un petit cataclysme. La banque centrale suisse s’est montrée très claire : « elle ne tolérera plus de cours inférieur à 1,20 franc pour un euro [1], fera prévaloir ce cours plancher avec toute la détermination requise et prête à acheter des devises en quantité illimitée. » Quelle mouche a donc bien pu piquer nos voisins helvètes qui brillent pourtant d’habitude par leur calme, leur courtoisie et leur modération en toutes choses ?

Un petit retour en arrière s’impose. Depuis bien longtemps la BNS a la réputation de gérer le franc suisse avec une rigueur toute germanique et cette réputation est loin d’être usurpée. Et comme, par ailleurs, la confédération helvétique brille par son endettement tout ce qu’il y a de plus raisonnable (38,8% du PIB en 2010 à comparer avec nos 82,4%) ; cette réputation est aussi très crédible [2]. Ainsi donc le franc suisse bénéficie d’une solide réputation dans le monde entier – précisément, l’homme averti sait aussi que la monnaie de BNS préserve sa valeur dans le temps. En conséquence de quoi, quand nos planificateurs monétaires [3] se livrent à de petites expériences de « fiat monnaie » en imprimant des montagnes d’euros ou de dollars dans un effort désespéré pour nous amener à nous endetter de nouveau, l’homme averti, lui, achète du franc suisse (ou de l’or).

Or voilà, il ne vous aura pas échappé que la petite expérience de fiat monnaie en cours depuis 2008 relève du cas d’école [4]. Très logiquement, alors que Ben « Helicopter » Bernanke et Jean-Claude Trichet inondent leurs systèmes bancaires respectifs de liquidités fraichement imprimées, les hommes avertis se sont rués sur le franc suisse comme la misère sur le bas-clergé. Résultat : la monnaie helvétique qui s’échangeait aux alentour de 63 centimes d’euros lorsque Lehmann Brother nous jouait son remake du Titanic s’est offert un plus haut à plus de 95 centimes d’euros au milieu du mois d’août – 51% de hausse en un peu moins de trois ans dont pratiquement 16% rien qu’entre avril et août de cette année ; home run !

Mais la BNS n’a pas du tout apprécié l’enthousiasme que provoquait sa saine gestion [5] et s’est empressée d’intervenir massivement sur le marché des changes pour faire baisser la valeur du franc suisse ; d’où cette journée du 6 septembre. Pourquoi ? Eh bien gageons qu’un certain nombre d’industriels suisses ont passé des coups de fils à un certain nombre de politiciens suisses pour leur expliquer que le niveau élevé du franc suisse leur posait de véritables problèmes de compétitivité à l’export et donc, de sérieuses irritations au niveau du compte de résultats. Les appels se faisant de plus en plus pressants, on imagine qu’ils ont étés relayés diligemment par les politiciens suisses auprès des autorités compétentes et officiellement indépendantes : la BNS.

Seulement voilà, une monnaie qui s’apprécie, ça n’a pas que des désavantages. Typiquement, quand vous êtes un petit suisse du peuple, ça augmente votre pouvoir d’achat sur les produits importés. Pour preuve, alors que le franc suisse s’envolait de 16% entre avril et août 2011, l’indice des prix à la consommation helvète baissait – oui, j’ai bien dit baissait ; c’est une petite déflation – de 1,4%. C’est-à-dire qu’en payant leurs importations moins chères, nos amis suisses s’étaient tous enrichis de 1,4% en 4 mois. Mais voilà une grande vérité de ce monde : le vulgus pecum n’a jamais rien compris à ces manipulations monétaires et il suffit de lui expliquer que c’est pour « protéger les emplois suisses » et il trouve ça absolument formidable, citoyen et responsable. Bien sûr, ce n’est pas la direction générale du groupe Nestlé qui va lui dire le contraire.

Cette petite anecdote devrait nous permettre de comprendre comment il est possible que Jean-Luc Mélenchon et Serge Dassault réclament en même temps une dévaluation de l’euro : Le premier est une brute imbécile, le second est un truand rusé et si ce pays comptait un peu plus d’hommes avertis, nous prendrions soin de ne surtout pas les écouter.
—-
Sur le web.

Notes :
[note][1] Soit 83,3 centimes d’euro pour un franc suisse.
[2] Si vous avez raté les épisodes précédents, c’est par ici.
[3] Un autre nom pour « banquiers centraux ».
[4] Voir par ici.
[5] Bien que, pour être tout à fait juste, c’est plutôt un mouvement de fuite face aux expériences de la BCE et de la Fed. [/note]

Voir les commentaires (3)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (3)
  • Le peuple suisse n’aura pas directement l’occasion de faire des économies sur les biens importés, mais la BNS, elle, va pouvoir se remplir les fouilles : elle imprime du papier, le donne à des étrangers qui le garde, et en échange de ces feuilles fraiches la BNS peut acheter (en euros) des vrai trucs avec une vraie valeur et qui rapportent, comme des actions ou des obligations. Si jamais un jour le Franc redescend (les étrangers revendent leur francs) la BNS n’a plus qu’à revendre ce matelas pour éponger les francs, en empochant le bénéfice de change et la plus-value sur ces biens : tout bénéfice.

    Si il ne sont pas trop manches à la BNS, c’est à dire si ils achètent autre chose que de l’obligation grecque, et si ils sont corrects avec le peuple (c’est à dire si le le peuple récupère les bénéfices que peut faire la BNS, par exemple sous forme de versement de dividendes), les suisses devraient s’y retrouver. Certes ça fait deux « si », sur lesquels je n’aurais pas parier si on parlait de la banque de France , mais avec la BNS, c’est possible, non ?

  • La BNS est à Berne, capitale de la Suisse, et non pas Zurich, ville la plus importante du pays en terme de population et de commerce.

  • Bernois,
    La BNS est à Berne et à Zurich – pardon pour ce raccourci 😉

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Par Dan Denning.

[caption id="attachment_263152" align="alignleft" width="235"] Crédits : MadGeographer, Domaine public[/caption]

La guerre contre le cash s’intensifie. Inspirés par la BCE qui n’émet plus de billets de 500 euros, les Suisses veulent supprimer le billet de 1 000 francs.

Je suis tombé sur une étude posant la question de savoir si la Suisse allait “démonétiser” le billet de 1 000 francs (et de quelle façon elle allait le faire). Un tel procédé, outre l’interdiction de tout nouveau billet de ce montant, exige... Poursuivre la lecture

Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse

[caption id="attachment_218188" align="aligncenter" width="640"] yuan-David Dennis- (CC BY-SA 2.0)[/caption]

En choisissant de dévaluer le Yuan trois fois en une semaine - chaque opération étant expliquée comme une action unique qui ne serait suivie d'aucune autre intervention - la Banque de Chine a jeté un nouveau combattant dans l'arène de la guerre monétaire. Une guerre absurde et sans vainqueur possible, qui ne fait que précipiter la mort des monnaies-papier...

Poursuivre la lecture

Par Ludovic Malot.

[caption id="attachment_178703" align="aligncenter" width="640"] chien credits darin (licence creative commons)[/caption]

Rappelons en grandes lignes la démarche des macroéconomistes et à quel niveau de raisonnement ils se positionnent. « Macro » à contrario de « micro » signifie qu’ils s’intéressent avant tout à la dimension globale des phénomènes économiques en utilisant notamment des abstractions subjectives comme le PIB (produit intérieur brut), la balance des paiements, les politiques monétaires et fiscal... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles