Profils de Sims et Sargent

Les Nobel d’économie 2011 ont critiqué les plans de relance et leur travail a contribué à la disparition du keynésianisme

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Profils de Sims et Sargent

Publié le 14 octobre 2011
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Sims et Sargent, Nobel d’économie 2011, ont critiqué les plans de relance et leur travail a contribué à la disparition du keynésianisme.

Par Ángel Martín

« Le prix confère à un seul individu une autorité qu’en économie aucun homme ne devrait posséder », affirmait Friedrich Hayek, Nobel en 1974. Tous les ans, à cette époque, les « experts » lancent leurs paris sur le nom de celui qui remportera le prix Nobel d’économie – ou plus exactement, le Prix de la Banque centrale de Suède à la mémoire d’Alfred Nobel. Même la prestigieuse université Harvard organise un club qui tente de réunir les prédictions de la crème de la profession.

Malgré les efforts, ces prédictions ne se réalisent presque jamais. C’est que les critères de sélection de l’Académie royale suédoise semblent impénétrables. Cette fois-ci n’a pas été une exception. Les attentes pointaient vers un prix pour des théoriciens de la croissance économique, mais les candidats étaient nombreux.

Mais même ainsi, au final, les lauréats, Chistopher A. Sims, de l’université de Princeton, et Thomas J. Sargent, de l’université de New York, ne faisaient pas partie du nombre. Ce qui ne laisse pas d’être ironique puisque la récompense est due en partie à leur étude sur les « attentes rationnelles » – un type d’attentes qui postule que les agents économiques ne se trompe pas de manière systématique dans leurs prévisions mais qu’ils les ajustent selon les erreurs du passé.

En particulier, le travail de ces universitaires s’est centré sur l’analyse des attentes et leur relation avec l’efficacité des politiques concernant les principales variables économiques, telles que l’emploi, l’inflation ou le PIB. Par exemple, ils se posèrent la question de savoir comment les agents formaient leurs attentes sur l’inflation future, et comment celles-ci affectaient ou non l’effectivité des politiques monétaires (taux d’intérêt) sur lesdites variables économiques.

Cependant, bien comprendre ces relations est réellement difficile, étant donné l’énorme complexité qui entoure les phénomènes macroéconomiques. D’un côté, les attentes affectent les politiques et l’activité économique, mais les politiques affectent également l’une et l’autre chose. Le comité du prix a principalement mis en évidence leurs contributions visant à éclaircir ces relations, « pour leur recherche empirique sur les causes et les effets en macroéconomie », développant d’innovantes et sophistiquées techniques mathématiques et statistiques.

Une recherche qui est au cœur de l’actualité suite aux essais ardus des policy-makers pour sortir du désordre où sont plongées les économies développées. Ainsi, par exemple, le président de la Réserve fédérale des États-Unis, Ben Bernanke, rendit explicite il y a juste un an son désir d’élever les « attentes d’inflation » pour relancer l’économie.

Selon Sims, sa recherche est importante pour trouver une sortie à la crise, bien qu’elle ne propose pas de réponse simple aux problèmes actuels. Aussi bien lui que Sargent recommandent à l’Union européenne la création d’institutions fiscales communes pour que l’euro puisse survivre avec succès à moyen terme.

Critiques avec les stimulus d’Obama

Une des contributions intéressantes de Sargent, dans le contexte actuel, est la connexion qu’il a établie, conjointement avec d’autres auteurs, entre la croissance de la dette publique et la nécessité d’imprimer de l’argent pour la financer. Son message consistait, à la base, à dire que si la politique fiscale est très expansive, il arrivera un moment où le financement via les prêts atteindra un plafond, laissant le recours à l’inflation comme l’unique méthode disponible pour couvrir les déficits budgétaires insoutenables.

Le même Sargent se montra très critique l’année passée envers les politiques de stimuli fiscaux appliquées par l’administration Obama. Les qualifiant de « étonnamment ingénues », il défendit son opinion sur base d’une des principales conclusions de ses travaux académiques : « Les policy-makers ne peuvent manipuler l’économie en trompant systématiquement les gens avec des politiques surprise. Les banques centrales, par exemple, ne peuvent réduire de manière permanente le chômage au moyen du relâchement de la politique monétaire. » De même, il dit que les plans d’Obama ignorent les connaissances que la profession économique avait acquis depuis 1945 – et, en partie, sous son impulsion –, en relation au scepticisme sur l’efficacité des politiques fiscales.

Réactions d’économistes

Pour cela, quelques économistes réagirent avec une certaine virulence à l’égard du keynésianisme. Xavier Sala-i-Martín écrivait sur Twitter que c’était « un prix Nobel longuement attendu pour deux macroéconomistes qui ont contribué à la disparition de l’économie keynésienne ». L’économiste de Harvard Edward Glaeser, de son côté, titrait son article sur le prix « Les lauréats du Nobel sauvèrent la macroéconomie après Keynes », et écrivait qu’aussi bien Sims que Sargent aidèrent à « détruire la fausse certitude de l’ancienne orthodoxie keynésienne ».

Quoi qu’il en soit, l’influence de ces deux économistes – peut-être spécialement Sargent – sur l’orthodoxie macroéconomique actuelle, aussi bien dans le monde académique que dans les banques centrales est sans égale. Comme le dit Jesús Fernández-Villaverde, « la moitié de la profession maintenant en macroéconomie a été élève de Sargent ou élève d’élèves de Sargent, et ceux qui ne le sont pas de manière directe le sont de manière indirecte au travers de ses livres ».

Nonobstant, le choix de l’Académie royale de Suède a surpris quelques économistes pour le timing, étant donné qu’aujourd’hui, après la Grande Récession, la macroéconomie de Sargent et Sims, et en particulier l’idée des attentes rationnelles, semble avoir été remise en question par une partie de la profession – à tort ou à raison.

—-
Article originellement publié par Libre Mercado. Traduit de l’espagnol.

[note]Un Nobel qui inverse le lien de cause à effet en économie

Thomas Sargent et Christopher Sims ont modernisé l’économie par leurs recherches, établissant les bases d’une nouvelle macroéconomie qui fait reposer les facteurs économiques (inflation, PIB, etc.) sur le comportement des individus et qui reconnaît que le comportement des individus dépend essentiellement des attentes de ces derniers quant à l’évolution future du système économique. Ce concept des « attentes rationnelles » a rendu obsolète le modèle macroéconomique keynésien des années ’70. Avant Sargent et Sims, les attentes rationnelles, les liens de cause à effet étaient identifiés simplement en macroéconomie : ce qui vient d’abord influence ce qui vient après. Mais avec les attentes rationnelles, la conséquence, c’est-à-dire l’attente elle-même, conditionne la cause. Sargent et Sims ont été les premiers à reconnaître les difficultés énormes que cela comporte pour un économiste qui entend mesurer dans les données les effets des politiques économiques.[/note]

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  • Anthony J. Evans et Toby Baxendale, deux défenseurs de la théorie autrichienne des cycles économiques, écrivaient dans un papier en 2008 que: « La nature hétérogène des entrepreneurs est le meilleur moyen pour faire face à une critique des attentes rationnelles. Si les entrepreneurs sont différents alors la « grappe d’erreurs » n’est pas faite par tout le monde, sinon juste par ceux qui sont dans la marge. Et si les entrepreneurs marginaux sont systématiquement différents de la population dans son ensemble, on évite l’implication de l’irrationalité généralisée, même si l’expansion du crédit aura une incidence sur les variables réelles. »

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