La panique bancaire européenne et les réserves fractionnaires

La crise financière tourne au bank run, c’est-à-dire une situation de panique bancaire

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

La panique bancaire européenne et les réserves fractionnaires

Publié le 7 octobre 2011
- A +

La crise financière tourne au bank run, c’est-à-dire à une situation de panique bancaire, attribuable au système à réserves fractionnaires.

Par Le Minarchiste, depuis Montréal, Québec

La crise financière de 2011 empire de jour en jour en Europe. Les politiciens grecs et italiens sont incapables de s’attaquer à leur déficit fiscal. Il est évident que les banques européennes détenant des obligations des PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne) devront prendre une perte significative sur ces titres, ce qui entamera sérieusement leur capital et les placera en situation financière précaire, pour ne pas dire en faillite. Évidemment, aucune institution financière ne veut leur fournir du capital sous forme de débentures sans actifs en garantie, ni leur fournir de la liquidité sous forme de dépôts interbancaires. Le prix de leurs actions sont en chute libre ce qui rend le financement par émission d’actions plutôt indigeste.

Notez que dans ce dernier paragraphe, vous pourriez substituer 2011 par 2008, Europe par États-Unis et obligations des PIIGS par  MBS-subprime. Le scénario est le même.

Nous sommes donc en crise financière, ou si vous le voulez en situation de panique bancaire ou bank run. Les paniques bancaires sont attribuables au système à réserves fractionnaires. Dans un système étalon-or, ces paniques surviennent lorsque les déposants perdent confiance en la viabilité de la banque, disons parce qu’elle aurait perdu sa chemise dans de mauvais prêts. Ces déposants demandent la conversion de leurs notes en or, mais comme la banque n’a pas suffisamment d’or dans ses réserves pour payer tous ces déposants, elle doit donc fermer boutique et déclarer faillite.

Dans un système de monnaie fiduciaire, les choses sont différentes.

Les banques créent de la monnaie à partir des dépôts à vue, et prêtent cette monnaie sur plusieurs années. Elles se retrouvent donc avec des actifs non liquides, mais avec une portion de leurs passifs qui sont très liquides. C’est pourquoi les banques doivent maintenir un certain niveau de réserves de liquidités pour rester en opération. Les banques n’utilisent pas seulement les dépôts de leurs clients pour se financer, elles utilisent aussi le marché interbancaire (wholesale), ce qui est plus coûteux, mais qui lui permet de faire croître son portefeuille de prêts plus rapidement. Ce type de financement est très problématique durant les périodes d’instabilité financière, puisque ce marché s’assèche complètement lorsque la confiance s’effrite. Cela a comme impact de précipiter les crises financières, comme c’est le cas présentement en Europe. D’ailleurs, on peut voir que plusieurs banques qui ont des réserves excédentaires préfèrent les stationner à la BCE plutôt que de les prêter à d’autres banques à un rendement plus élevé. Dans les circonstances, le BCE doit agir en prêteur de dernier recours et fournir la liquidité nécessaire aux banques en mauvaise posture.

Bien que cela règle le problème de liquidité des banques touchées, cela ne règle pas le problème de capital.

C’est pourquoi il y a présentement beaucoup de pression sur les politiciens européens, et particulièrement sur Mme Merkel, pour qu’ils injectent du capital dans les grandes banques afin qu’elles demeurent solvables. Combien de capital ? Cela dépend de ce qu’il adviendra des PIIGS ! La perte sera différente s’il y a un défaut de paiement de l’un ou plusieurs d’entre eux. C’est pourquoi Mme Merkel subit aussi beaucoup de pression afin que celle-ci fasse en sorte que la BCE puisse soutenir les PIIGS financièrement, notamment à travers le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF).

À cet égard, les négociations sont dans une impasse puisque les Allemands exigent des Grecs et des Italiens que ceux-ci règlent leur problème de déficit dans les plus brefs délais, ce qu’ils sont incapables de faire, étant donné la résistance de la population. Dans ces circonstances, une augmentation du FESF ne ferait que pelleter le problème en avant puisque sans solution fiscale, les PIIGS demeureront dépendants de l’aide externe et deviendront un trou noir inflationniste. Les réticences des Allemands sont donc justifiées.

Revenons aux banques européennes.

Cette semaine, le magazine The Economist a présenté une estimation pour les différents scénarios relatifs aux besoins de capital des banques européennes. On parlerait de quelques centaines de milliards d’euros (voir graphique ci-bas). Si les gouvernements ne sauvent pas les banques, plusieurs craignent que ce sera la catastrophe, et que l’économie s’écroulera (le spectre de Lehman Brothers n’est jamais bien loin). Évidemment, je suis en désaccord avec cet assertion. Oui, les faillites de grandes banques engendrent un choc temporaire, mais c’est le prix à payer pour maintenir une système financier sain. Les actifs de ces banques seraient rachetés par d’autres, et les clients ne s’en rendraient possiblement même pas compte, outre un changement de logo. En passant, vous aurez bien compris j’espère que tout ce tralala n’est en fait qu’un (autre) gigantesque sauvetage des banques commerciales par l’État, ces banques qui ont sous-estimé les risques reliés à des emprunteurs gouvernementaux irresponsables (tout comme les banques américaines avaient sous-estimé les risques reliés aux emprunteurs subprime).

Pour illustrer les différences entre les banques canadiennes, américaines et européennes, je me suis amusé à faire quelques calculs approximatifs en utilisant les chiffres au 31 décembre 2008 de la Banque Royale du Canada, de Dexia (Belgique) et de Bank of America.

J’ai calculé quatre ratios qui selon moi démontrent bien le niveau de réserves que ces banques détiennent. Les résultats ne sont pas surprenants : la Banque royale dépend beaucoup moins du financement interbancaire, elle maintient des dépôts équivalents à 140 % de son portefeuille de prêts, ses dépôts ont une plus longue maturité car elle maintient davantage de dépôts à terme (plutôt que des dépôts à vue).

Cela explique beaucoup la stabilité du système bancaire canadien au cours des trois années qui ont suivi. Plus les banques ont de réserves, moins il y a de risque de crise financière. Notez en passant que la réglementation canadienne n’exige aucun ratio de réserve minimum, celle-ci ne règlemente que les ratios de capital. Ce n’est donc pas à cause de la réglementation que les banques canadiennes maintiennent davantage de liquidités. Ceci étant dit, selon les règles de Bâle 3, des ratios minimum de liquidité seront introduits en 2016 et en 2018. À ce sujet, mes discussions récentes avec des gestionnaires de banques canadiennes indiquent que ces ratios seront plutôt sévères. Cela devrait contribuer à améliorer la stabilité du système bancaire mondial.

Évidemment, ces ratios minimums seront bien inférieurs à 100 %… malheureusement ! Les banques pourront donc continuer de créer de la monnaie pour s’enrichir.

Finalement, le dernier graphique montre les avoirs des banques européennes en titres de dette gouvernementaux par pays (États-Unis, Canada, France, Autriche, Espagne, Allemagne, Belgique, Portugal, Italie, Grèce).

Vous trouverez des articles connexes iciici, ici et ici.

—-
Sur le web

Voir les commentaires (8)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (8)
  • L’idée selon laquelle « les paniques bancaires sont attribuables au système à réserves fractionnaires » me semble erronée. En réalité, les paniques bancaires sont attribuables aux dettes publiques ou aux réglementations publiques qui encouragent la surconsommation ou encore les mauvais investissements au détriment de l’investissement productif.

    Il est illusoire de prétendre garantir les dépôts, y compris avec de l’or. Seul l’investissement productif permet d’engendrer un revenu, donc le maintien de la valeur des dépôts.

    On peut même dire qu’on ne doit pas garantir les dépôts par principe, sous peine d’affaiblir la croissance, voire de la supprimer. Pour alimenter l’économie, un dépôt ne doit pas être un stock mais un flux. La valeur des dépôts dépend uniquement du flux de création de richesses qu’ils permettent. De même que les stocks d’or n’ont jamais créé la moindre richesse, demander la garantie à 100% des dépôts ne peut que limiter les flux économiques. Si toutefois certains souhaitent quand même transformer leurs dépôts en stock, cela ne peut se concevoir qu’en monnaie fondante (y compris l’or, à travers des frais d’entreposage inversement proportionnels aux hausses des cours de l’or).

    Tout dépôt est un prêt qui implique l’existence d’un risque. A propos du risque, il faut bien comprendre que les prêts aux Etats représentent le risque absolu. En effet, les Etats ont toujours intérêt à faire faillite puisqu’ils ne subissent aucun des inconvénients liés à leur défaut, à la différence des individus ou des entreprises. Sujet à la mode, la réforme financière à venir ne sera complète que lorsqu’elle interdira tout déficit public.

    Reste la question de la propriété (de la responsabilité), facilement résolue si l’on considère que les déposants sont les véritables actionnaires des banques. Dans cette hypothèse, la question des réserves n’existe même plus.

  • Petite correction : « proportionnels » et non « inversement proportionnels ».

  • « Tout dépôt est un prêt  »

    Faux. Seuls les dépots à termes sont des prêts.
    Les dépôts à vue sont de la monnaie en « entreposage ».

    Les dépôts à vue sont convertibles en espèce à tout moment. La banque ne peut prêter cet argent sans violer la propriété du déposant. Voir mon article sur l’oeuvre de De Soto.

    • Si les dépôts ne sont pas des prêts, il n’y aucune raison de les restituer.

      • Je viens de relire votre billet très intéressant à propos de « Money, Bank Credit and Economic Cycles ». Malheureusement, je ne comprend toujours pas comment De Soto parvient à expliquer l’utilité économique d’une banque qui ne prête rien puisqu’elle garantit 100% des dépôts à tout moment. Si à l’époque où les routes n’étaient pas sûres la garantie de l’or (intransportable) était nécessaire pour assurer les flux monétaires, aujourd’hui plus rien ne justifie une telle garantie.

        Je ne peux partager sa conclusion comme quoi l’étalon-or deviendrait la monnaie en cas de banque libre, alors que seul l’Etat a le pouvoir d’imposer un étalon. Je vous invite à creuser la question de la propriété des banques et non des seuls dépôts. Si on considère les dépôts comme partie du capital des banques, de nombreuses questions qui posent problème aujourd’hui sont réglées. Dans un système de banque libre, on peut considérer que tout personne qui possède un capital devient sa propre banque et son propre émetteur de monnaie.

        • « Malheureusement, je ne comprend toujours pas comment De Soto parvient à expliquer l’utilité économique d’une banque qui ne prête rien puisqu’elle garantit 100% des dépôts à tout moment. »

          Contrairement à De Soto et Minarchiste, je ne suis pas partisan des réserves pleines obligatoires dans le cas où il n’y a pas de monopole monétaire étatique. Mais il me semble que tu as mal compris leur position (ou je n’ai pas compris ta remarque): ils ne disent pas que les banques ne doivent pas prêter, mais qu’elles ne doivent pas prêter les sommes déposées su un dépôt à vue. Elles peuvent évidemment prêter l’argent des épargnants que ceux-ci leur ont confié dans un but d’investissement.
          Les banques sont alors des intermédiaires entre les épargnants qui désirent investir et les emprunteurs.

          Pour résumer, ils pensent qu’on ne doit pouvoir prêter que ce qui a d’abord été épargné dans ce but.

          « Je ne peux partager sa conclusion comme quoi l’étalon-or deviendrait la monnaie en cas de banque libre, alors que seul l’Etat a le pouvoir d’imposer un étalon. »

          Là encore, ce n’est pas leur position si je me souviens bien. Ils ne disent pas que l’Etat doit imposer l’étalon or (bien que ce serait selon eux un moindre mal dans le cas de monopole étatique sur la monnaie), mais que si on laisse les gens libres de choisir leur monnaie, c’est l’or qui s’imposera naturellement comme monnaie, qui deviendra l’etalon monétaire de facto.

          • Il ne me semble pas avoir prêté à qui que ce soit des arguments qu’il n’a pas défendus. 2 remarques :

            1/ La monnaie la plus liquide (ie M1, sans parler de M2 qui est très similaire à M1) représente environ la 1/2 du PIB. Si vous garantissez M1, vous figez instantanément l’économie : c’est la ruine assurée pour tous. On ne peut ni ne doit garantir les dépôts à vue : c’est pratiquement impossible, économiquement absurde et éthiquement inacceptable. D’ailleurs, la crise le montre, ce n’est pas le risque lié aux dépôts à vue qui pose problème mais l’irresponsabilité (relative) des banques vis-à-vis de ces dépôts.

            2/ Je faisais allusion à la fin du billet sur De Soto : c’est ce dernier qui pense que l’étalonnage de la monnaie va s’imposer librement. Je prétends le contraire (seul l’Etat peut véritablement imposer l’étalon et aucun étalon n’apparaîtra en cas de banque libre).

  • @Bubulle

    « Si vous garantissez M1, vous figez instantanément l’économie : c’est la ruine assurée pour tous. On ne peut ni ne doit garantir les dépôts à vue : c’est pratiquement impossible, »

    Personne ne parle de garantie. Un dépôt à vue c’est comme un entreposage temporaire de monnaie. Si vous faîtes entreposer votre voiture chez un garagiste, vous serez déçu d’apprendre que celui-ci l’a prêtée au premier venu…

     » Je prétends le contraire (seul l’Etat peut véritablement imposer l’étalon et aucun étalon n’apparaîtra en cas de banque libre). »

    Vous pouvez bien prétendre ce que vous voulez, mais l’histoire vous donne tort. L’ouvrage de De Soto comprend des centaines de pages de preuves historiques, tout comme les ouvrages de Rothbard d’ailleurs.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Charles-Henri Colombier est directeur de la conjoncture du centre de Recherche pour l’Expansion de l’Économie et le Développement des Entreprises (Rexecode). Notre entretien balaye les grandes actualités macro-économiques de la rentrée 2024 : rivalités économiques entre la Chine et les États-Unis, impact réel des sanctions russes, signification de la chute du PMI manufacturier en France, divergences des politiques de la FED et de la BCE...

 

Écarts économiques Chine/États-Unis

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints... Poursuivre la lecture

Un article de l'IREF.

En janvier dernier, dans un entretien accordé au Journal du Dimanche, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, annonçait la fin du « quoi qu’il en coûte ».

L’examen parlementaire en cours des projets de loi de finances de fin de gestion pour 2023, et de loi de finances pour 2024 montrent à l’inverse que, loin d’être fini, le « quoi qu’il en coûte » se poursuit. Et ce en dépit d’un goulet d’étranglement appelé à se resserrer du fait de l’aggravation de la charge de la dette dans les prochai... Poursuivre la lecture

Les monnaies suivent les civilisations depuis 3000 ans, elles sont des créations humaines, et pourtant elles restent des ovnis. Leur rôle est de permettre l’échange de biens à travers un support capable de « cristalliser » de la valeur dans le temps, une sorte de confiance palpable.

S’il est compliqué de définir une monnaie, c’est parce que nous avons utilisé des centaines de monnaies différentes qui n’ont rien de commun, à part être une monnaie. Et aucune d’entre elles n'entre dans les critères d’Aristote : unité de compte, réserve de... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles