Les modérés, les extrémistes et la liberté

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Les modérés, les extrémistes et la liberté

Publié le 28 septembre 2011
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Si les libéraux, fervents défenseurs de la liberté, sont souvent dépeints comme des extrémistes, cela signifie certainement que les modérés sont modérément pour la liberté.

Par Gary Galles (*), depuis Malibu, Californie
Un article du Mises Institute traduit par l’Institut Coppet

Alors que j’observais les grands médias au cours des dernières décennies, j’ai noté un engouement croissant pour les mots « modérés » et « extrémistes.» Ces mots, jumelés d’une manière particulière, sont devenus beaucoup plus courants.

En Californie, où je vis, chaque fois que la législature a du mal à voter un budget, les experts accusent la baisse du nombre de membres modérés, dont les sièges seraient désormais détenus par des extrémistes. Bien sûr, ce qui est vraiment en cause, c’est que les Démocrates, qui dominent la législature depuis longtemps, trouvent plus difficile d’acheter suffisamment de voix républicaines pour imposer leurs priorités budgétaires, qui impliquent invariablement d’augmenter la charge sur certains pour donner plus aux autres. Lorsque des membres du parti d’opposition qui ne sont que modérément attachés au principe de propriété de soi (les « modérés ») sont remplacés par ceux plus fermement attachés à celle-ci (les « extrémistes »), au moins pour ce qui concerne les taxes, le prix d’achat des votes contre son camp peut augmenter de façon spectaculaire. Les Démocrates ne peuvent pas imposer leur programme aussi facilement, et les blocages deviennent plus communs.

Le traitement du Tea Party par les médias traditionnels au cours du débat-impasse sur le plafond de la dette a suivi à peu près la même ligne.

Dans le sillage d’une expansion historique du pouvoir fédéral et des dépenses, où 40 % de chaque dollar a du être emprunté, les experts en appelèrent aux modérés, parce qu’ils feraient un compromis envers le président Obama pour des impôts plus élevés, plutôt que les extrémistes actuels, qui voulaient revenir sur certaines des extravagances nouvelles et améliorées des dépenses publiques.

Dans ces deux exemples, et bien d’autres (comme le traitement de Ron Paul par les grands médias tout au long de sa carrière politique), la modération recherchée est toujours celle de la défense de certains aspects de la liberté (propriété de soi), de sorte que de nouvelles percées puissent être imposées, faisant que les plus fermes dans la défense de ces libertés soient estampillés extrémistes déraisonnables.

Cependant, j’ai récemment découvert que cette tendance n’est pas aussi nouvelle que je l’avais cru. Dans un « manifeste électoral », publié en novembre 1830, Frédéric Bastiat offrait une discussion-débat sur le même problème en France. Comme il s’exprime avec sa clarté, son esprit et son ironie caractéristiques, je pense qu’il est utile de le citer :

« Aux électeurs du Département des Landes :

C’est surtout la modération qui joue un grand rôle dans cette armée de sophismes…

On veut à tout prix des modérés ; on craint les exagérés par-dessus tout… et comme le centre est bien le milieu entre la droite et la gauche, on en conclut que c’est là qu’est la modération.

Étaient-ils donc modérés ceux qui votaient chaque année plus d’impôts que la nation n’en pouvait supporter ? Ceux qui ne trouvaient jamais les contributions assez lourdes, les traitements assez énormes, les sinécures assez nombreuses … un trafic odieux de la confiance de leurs commettants…

Et sont-ils exagérés ceux qui veulent éviter le retour de pareils excès ; ceux qui veulent mettre de la modération dans les dépenses ; ceux qui veulent modérer l’action du pouvoir … qui ne veulent pas que la nation soit exploitée par un parti plutôt que par un autre… ?

Mais le gouvernement… tend avec force… à étendre indéfiniment sa sphère d’action. Livré à lui-même, il franchit bientôt les limites qui circonscrivent sa mission ; il augmente outre mesure… ; il n’administre plus, il exploite…  il ne protège plus, il opprime.

Telle serait la marche de tous les gouvernements… si les nations n’opposaient un obstacle aux envahissements du pouvoir.

Il ne faut pas marchander la liberté, elle est un bien si précieux qu’on ne saurait le payer trop cher …

La profusion et la liberté… sont incompatibles.

Or, que peut-il exister de liberté là où, pour soutenir d’énormes dépenses, le gouvernement, forcé de prélever d’énormes tributs, se voit réduit à recourir aux contributions les plus vexatoires, … à envahir le domaine des industries privées, à rétrécir sans cesse le cercle de l’activité individuelle, à se faire marchand, fabricant, courrier, professeur… ? Sommes-nous libres si le gouvernement… soumet toutes les actions aux recherches des employés, entrave toutes les entreprises, enchaîne toutes les facultés, s’interpose entre tous les échanges pour gêner les uns, empêcher les autres et les rançonner presque tous ?

Peut-on attendre de l’ordre d’un régime qui, plaçant sur tous les points du territoire des millions d’appâts offerts à la cupidité… répandant de plus en plus la manie de gouverner et la fureur de la domination ?

Voulons-nous donc délivrer l’autorité des intrigants qui l’obsèdent pour la partager, des factieux qui la sapent pour la conquérir, des tyrans qui la renforcent pour la défendre ; voulons-nous arriver à l’ordre, à la liberté, à la paix publique ?…

Voudrions-nous que le pouvoir s’intéressât plus à nous que nous ne nous y intéressons nous-mêmes ? Attendons-nous qu’il se restreigne si nous le renforçons ; qu’il se montre moins entreprenant si nous lui envoyons des auxiliaires ; espérons-nous que nos dépouilles soient refusées … Nous exigerions de ceux qui nous gouvernent une grandeur d’âme surnaturelle, un désintéressement chimérique, et nous, nous ne saurions pas défendre, par un simple vote, nos intérêts les plus chers !

Électeurs, prenons-y garde ! nous ne ressaisirons pas l’occasion, si nous la laissons échapper… mais enfin il ne faut pas fermer les yeux à l’évidence… et s’il n’a pas été fait d’améliorations matérielles, nous en fait-on du moins espérer ? Non.

La liberté… détruirons-nous son ouvrage avec nos votes ? »

 

Frédéric Bastiat reconnaissait que, à son époque, la « modération » politiquement populaire était le fruit de l’expansion de la coercition gouvernementale, alors que l’extrémisme, qui était continuellement attaqué, signifiait un engagement pour défendre la liberté.

Malheureusement, rien ne semble avoir changé en matière d’expertise politique, au-delà d’une explosion des médias qui déforment cette question cruciale. Mais heureusement, si nous reconnaissons avec Bastiat ce qui est réellement en jeu – une liberté trop précieuse pour être négociée – une telle rhétorique biaisée ne peut nous tromper au point de devenir des complices de la destruction de la liberté par nos choix politiques.

—-
(*) Gary Galles est professeur d’économie à l’université Pepperdine, Malibu, Californie

Un article du Mises Institute
Traduction de Stéphane Geyres pour l’Institut Coppet.
Article reproduit avec l’aimable autorisation de l’Institut Coppet.

Voir les commentaires (11)

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  • Mouais… C’est oublier que tout comportement perçu comme extrême exacerbe automatiquement l’extrêmisme adverse.
    N’imaginez pas une seule seconde qu’une politique à la Ron Paul ne génèrerait pas une seconde guerre civile aux US.
    Mais une guerre civile, c’est peut-être précisément ce que l’auteur et son traducteur aimeraient voir de leur vivant. Qu’ils y réfléchissent à deux fois : pas dit qu’ils fassent partie du camp des vainqueurs.

    • N’importe quoi. C’est très mal connaître les Américains pour sortir ce genre de bêtises.

      • « N’imaginez pas une seule seconde qu’une politique à la Ron Paul ne génèrerait pas une seconde guerre civile aux US. »
        ——————
        Grand Dieu, une Mme Irma, encore. Et vous prédisez quel prix du saumon fumée pour les prochaines fêtes ?

    • C’est marrant parce que ce genre d’argument se retourne comme un gant : d’où sort le TEA-party, sinon comme réaction à ce qui est perçu comme un extrémisme fiscal ? Le fait que les gens visés se décrivent eux-même comme des « modérés » ne change rien à la réalité et à la perception qu’on en a en face : ce sont des extrémistes

  • Vous êtes vieux ou vieillissant. Demain vous êtes à la soupe populaire parce que la Social Security est morte. Après demain, vous êtes à la rue.

    Vous êtes noir et les trois quart des offres d’emploi répondant à votre qualification portent la mention « white only » depuis l’abolition des lois contre la discrimination. C’est d’ailleurs à ce titre que votre bail ne sera pas renouvelé, le nouveau réglement de la copropriété stipulant que la résidence est dorénavant « White only ». Demain vous êtes à la rue.

    Vous êtes diabétique, comme votre mère, comme votre grand-mère, et depuis que Medicare a été supprimé, vous avez du hypothéquer votre baraque pour payer de l’insuline. Demain, vous êtes à la rue.

    Vous êtes une mère de famille et vous ne pourriez envoyer qu’un seul de vos 3 enfants dans une école qui ne soit pas un abattoir, depuis que les school vouchers ont remplacé ce qui restait de l’école publique. Vous vous êtes donc endettée jusqu’au cou. Vous êtes virée de votre job car trop vieille. Demain vous êtes à la rue.

    Il se trouve que, 2e amendement oblige, vous avez un flingue dans la bagnole qui vous servira encore d’abri, et pas mal de cartouches. Vous vous flinguez ? Ou vous entrez en guerre ?

    Je connais les américains très, très, très bien. Entre combattre et se résigner, ils choisissent vite.

    En attendant, ils n’ont pas besoin de combattre : ils élisent encore des gens normaux.

  • Food for thought ici :

    http://www.bbc.co.uk/news/magazine-14978876

    Et c’est un milliardaire qui le dit.

  • « Vous êtes noir et les trois quart des offres d’emploi répondant à votre qualification portent la mention « white only » depuis l’abolition des lois contre la discrimination. C’est d’ailleurs à ce titre que votre bail ne sera pas renouvelé, le nouveau réglement de la copropriété stipulant que la résidence est dorénavant « White only ». Demain vous êtes à la rue. »

    Parce que vous pensez que les noirs ne peuvent pas eux aussi posséder des appartements et les louer avec la mention « black only » ?

    « Vous êtes diabétique, comme votre mère, comme votre grand-mère, et depuis que Medicare a été supprimé, vous avez du hypothéquer votre baraque pour payer de l’insuline. Demain, vous êtes à la rue. »

    Sans l’Etat pour me pomper une bonne partie de ce que je gagne, j’aurais sans doute les moyens de me payer une assurance.

    « Vous êtes une mère de famille et vous ne pourriez envoyer qu’un seul de vos 3 enfants dans une école qui ne soit pas un abattoir, depuis que les school vouchers ont remplacé ce qui restait de l’école publique. Vous vous êtes donc endettée jusqu’au cou. Vous êtes virée de votre job car trop vieille. Demain vous êtes à la rue. »

    Idem, sans un système d’enseignement publique qui me pompe une bonne partie de mes ressources, j’aurais sans doute les moyens d’envoyer mes enfants dans de meilleures écoles.

    « Il se trouve que, 2e amendement oblige, vous avez un flingue »

    et je serais donc à égalité avec les voyous qui, eux, n’ont pas besoin d’autorisation pour en posséder.

  • C’est bien de déclamer Bastiat … , en évitant soigneusement d’expliquer l’environnement du discours aux électeurs Landais et tout ce qui peut modifier le sens de ce qu’on entend démontrer …

    De quoi est-il question en Novembre 1830 … date de ce discours ? La Monarchie de Juillet vient de dérouler « son oeuvre ». Le principe de la souveraineté nationale remplace celui de droit divin ; le roi, investi du pouvoir exécutif, partage le législatif avec la Chambre des pairs et la Chambre des députés. Ne reste plus qu’à organiser le système électoral.

    Les monarchistes entendent garder le principe censitaire, limitant le collège électoral à quelques 168 000 bourgeois , là où les libéraux souhaitent une ouverture beaucoup plus large … La « modération » répond ici à la limitation du suffrage censitaire et à l’impossibilité en pratique d’une représentation qui ne soit pas qualifiable de clientélisme local et notabillaire…

    « L’extremisme » de Bastiat ne tend ici en aucune façon à renverser la monarchie de Juillet, ni même à priver l’Etat de ses prérogatives régaliennes … L’extremisme de Bastiat requiert ici qu’un lyonnais ait la possibilité se fair élire à Bordeaux si ce lui chante, qu’un ouvrier puisse se faire élire, peu important le fait qu’il ne soit pas notable etc …

    Pourquoi ne pas citer du même discours «  »On veut à tout prix des modérés ; on craint les exagérés par-dessus tout ; et comment juge-t-on à laquelle de ces classes appartient le candidat ? On n’examine pas ses opinions, mais la place qu’il occupe ».

    On est loin de ce que l’on entend décrire dans le billet ci-dessus … manière libertarienne d’appropriation des auteurs et de réécriture de l’histoire.

    Vous voulez l’ENTIER discours, et pas des morceaux utilement choisis ?… On le trouvera ici …

    http://fr.wikisource.org/wiki/Aux_%C3%A9lecteurs_du_d%C3%A9partement_des_Landes

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