Jean-Jacques Rousseau et le libéralisme

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Jean-Jacques Rousseau et le libéralisme

Publié le 1 juillet 2011
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Jean-Jacques Rousseau est un auteur qui a entretenu des rapports ambigus avec le libéralisme. Il est à la fois un authentique penseur de la liberté, auteur de la formule suivante : « Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme. » ; et, dans le même temps, il est considéré par les socialistes comme l’un de leurs précurseurs. Afin de clarifier les liens complexes entretenus par Rousseau avec la pensée libérale, nous vous invitons à lire ci-dessous deux articles consacrés à cet auteur, l’un issu de Catallaxia, l’autre de Wikibéral – deux sites animés, tout comme Contrepoints, par l’association Libéraux.org.

Rousseau, un penseur de l’individualisme moderne

À ses yeux, la cause est entendue, la monarchie absolue est détestable, mais elle est déjà intérieurement morte. Ce qui lui importe, c’est ce qui va la remplacer.

Aux yeux de Rousseau, la France ne se caractérise plus par le pouvoir absolu du roi. Qui gouverne ? L’opinion. L’opinion de qui ? De la société. Qu’est-ce que la société ? C’est l’inégalité. Les hommes se rangent à ce crédit que fixe l’opinion, crédit insaisissable dont la richesse n’est que le signe sensible ou mesurable.

Le fondement du libéralisme, c’est la distinction entre la société civile et l’État : celui-ci est le représentant et l’instrument de celui-là.

Mais, dit Rousseau, l’individu entre nécessairement en relation avec les autres individus, pour son éducation, ses affaires, ses plaisirs : il dépend d’eux sans les gouverner, ni être gouverné par eux. Mais se comparer, tel est le malheur et le péché originels de l’homme de nos sociétés. Au fond, ce malheur et cette corruption tiennent au fait que l’attitude consistant à se comparer enveloppe une contradiction : l’homme qui se compare, c’est l’homme qui, dans ses rapports avec les autres, ne pense qu’à lui-même, et dans ses rapports avec lui-même, ne pense qu’aux autres.

C’est l’homme divisé.

Il est naturel que la société accorde une importance majeure au terme de la comparaison qui permet la comparaison des comparaisons, l’inégalité de l’argent. L’homme moderne est devenu un bourgeois, il a cessé d’être un citoyen.

Dès lors, la différence entre le régime libéral de l’Angleterre et le régime absolutiste de la France devient secondaire. Les Anglais ont fondé le régime politique destiné à être habité par les bourgeois ; mais pour mener à bien cette tâche politique, ils ont dû se faire, au moins pour une certaine période, maintenant achevée, citoyens : les Anglais se sont imposés quelque temps les fardeaux du citoyen pour être ensuite, plus à leur aise et définitivement bourgeois. Les Français au contraire sont devenus tout uniment bourgeois sous l’égide oppressive de la monarchie absolue, qui leur a interdit avec succès d’être citoyens comme surent l’être un temps les Anglais, et comme eux-mêmes l’avaient été du reste, sous une forme mutilée et confuse, au XVIe et au début du XVIIe siècle.

Il y a un point d’accord fondamental entre Rousseau et Hobbes : tout le malheur politique des peuples européens vient du christianisme, plus précisément de la constitution sous l’égide du christianisme d’un pouvoir religieux distinct et rival du pouvoir politique.

Hobbes voit dans le prestige des cités antiques le second grand motif, après les prétentions des Églises, des désordres qui ont conduit à la guerre civile anglaise ; le prestige de l’idée de liberté civique fomente l’esprit de désobéissance, et l’esprit de désobéissance cause la guerre civile.

Mais Rousseau au contraire met en cause l’idéal hobbien, moderne ou bourgeois, de la paix. Ce que critique surtout Rousseau dans la doctrine de Hobbes, ce n’est pas la superstructure étatique – il la critique lui aussi – c’est l’infrastructure civile individualiste.

Absolutisme et individualisme ont le même élément central : l’individu.

Pour le premier, les individus, en raison de leur nature orgueilleuse et rebelle, ne peuvent être tenus ensemble que par un pouvoir à eux extérieur et souverain.

Pour le second en revanche, pour le libéralisme, les individus nouent naturellement ou spontanément des relations pacifiques qui donnent naissance à une société suffisament consistante pour n’avoir pas besoin d’un gouvernement absolu. Et à l’effet économique direct de l’émancipation du désir d’acquisition de l’individu, s’ajoutent des effets moraux indirects non moins importants : c’est un des grands thèmes de L’Esprit des lois que le développement du commerce conduit à l’adoucissement des mœurs.

Mais Rousseau ajoute : puisqu’ils sont dépendants, les individus sont obligés de ne pas se faire de mal les uns aux autres. Puisqu’ils sont concurrents, ils sont obligés de ne pas se faire, ou du moins de ne pas se vouloir du bien. L’amour propre vit de comparaison, il est le désir d’être estimé par les autres à aussi haut prix qu’on s’estime soi-même, et il est condamné à être malheureux, puisque chacun a le même amour propre et éprouve le même désir.

La liberté de Montesquieu, l’impuissance de tous, Rousseau la voit comme l’institutionnalisation de l’abaissement du caractère humain. Il prend exemple sur les cités antiques. Montesquieu, lui, voyait en elles de grandes choses, mais qui payaient leurs avantages d’un prix très lourd : c’était essentiellement des corps politiques guerriers où la discipline sociale était harassante.

Rousseau au contraire propose un retour à la cité antique. Mais cette cité grecque est le principe d’accusation de la société moderne ou libérale; elle ne fournit pas le modèle positif d’un substitut au libéralisme.

Quels sont alors les principes positifs de Rousseau ?

La bonne société ne saurait être que celle qui est conforme à la nature de l’homme. Il faut donc découvrir quelle est la vraie nature de l’homme. C’est la grande enquête du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité. L’homme naturel n’a plus rien de sociable ni plus rien de proprement humain. Non seulement notre société, mais toute société, même la meilleure, est contraire à la nature de l’homme. La société est corrompue et l’homme est malheureux quand l’individu est divisé : l’homme de la nature est heureux et bon parce qu’il est un, qu’il se suffit à lui-même. La bonne politie c’est parvenir à identifier chaque individu au nouveau tout dont il va faire partie, identifier chaque individu à elle-même. L’individu sera un parce qu’il ne fera qu’un avec le corps politique.

D’où la volonté générale, qui donne l’existence en même temps que la légitimité au nouvel individu artificiel auquel tous les individus naturels s’identifient.

Il y a une contradiciton entre la nature et l’origine de la cité. L’origine de la cité réside dans l’instinct de conservation individuel. Le contrat social est contrat de propriétaires : c’est la nature de la cité. Cet individu qui était aussi intimement propriétaire, aussi complètement bourgeois que l’homme lockéen, devient plus rigoureusement citoyen que le Sparitate le plus aguerri.

Toutes les contradictions que le lecteur relève dans le Contrat social ont ici leur source et leur raison d’être. La seule manière d’être sûr que l’unité sociale se réalise, c’est que l’intérêt public ne se confonde avec aucun intérêt privé, c’est de placer l’intérêt public en contradiction avec tous les intérêts privés.

Rousseau ne se fait pas du tout la même idée que Locke de ce qu’est la propriété. Certes il admet avec le philosophe anglais que le travail est à l’origine de l’idée de propriété, mais il ne saurait être à l’origine du droit de propriété. En son fond, l’acte d’appropriation par le travail entre sous le registre de la force. Dans la définition de Locke, le travail est d’abord rapport solitaire et silencieux de l’individu avec la nature ; le droit, dans sa définition même, pose et donc suppose une relation entre les hommes, des paroles échangées, effectivement ou tacitement.

Le travail ne peut fonder le droit de propriété. Qui va parler ? Ceux qui souffrent relativement le plus de cet état, à savoir, paradoxalement, les riches. Puisque leur être et donc leur instinct de conservation s’étend au-delà de leur corps propre, jusqu’à leurs biens et les enveloppe, les riches vont prendre l’initiative de la parole politique, de la parole qui fonde le corps politique. Ils vont proposer à tous et particulièrement aux pauvres de constituer un corps politique qui protégera les biens de tous, c’est-à-dire d’abord des riches, par les forces de tous, c’est-à-dire d’abord des pauvres.

L’inégalité est fondée et le malheur humain scellé. Dès lors les lois, même les meilleures, ont une finalité contradictoire : elles doivent tendre à corriger l’inégalité originelle des propriétés qui n’a d’autre fondement que la force et elles doivent consacrer cette inégalité puisque selon leur définition même elles apportent à la propriété ce supplément de force dont elle a naturellement besoin et dont a le plus besoin la propriété la plus étendue, la plus inégale.

Voilà le paradoxe ultime de la pensée de Rousseau : d’une part, la société est essentiellement contraire à la nature ; d’autre part, elle ne se rapproche de la conformité à la nature que dans la mesure où elle impose à ses membres l’unité la plus grande possible, dans la mesure où elle dénature l’homme.

Mais cette contradiction répond à celle de l’homme : il est dans la nature de ce dernier d’être contradictoire. Il est naturel à l’homme de se dénaturer en son fond, il n’est pas nature mais liberté. Avec Rousseau, la liberté devient pour ainsi dire immédiate à l’individu, comme sentiment, à la fois expérience et exigence, de l’autonomie. Car déterminée, engluée par la nature, la liberté libérale n’est déjà plus liberté. La nouvelle liberté va chercher un motif adéquat à sa propre sublimité : la Révolution sera l’acte par lequel la liberté se donne à elle-même son propre motif, par lequel l’homme s’élève au-dessus des déterminations de sa « nature ».

La pensée de Rousseau ne se retourne contre le libéralisme que parce qu’elle en a mené jusqu’au bout l’impulsion et la logique originelles : construire un corps politique à partir d’individus supposés radicalement indépendants. La pensée de Rousseau surgira en 1789 dans le dessein de protéger enfin adéquatement la sécurité et la propriété des individus. Elle se retournera en 1793 contre cette sécurité et cette propriété pour obtenir l’unité absolue du nouveau corps politique. Au 9-Thermidor, elle renoncera à cet effort contre-nature qui tendait à annuler son propre fondement, et se réconciliera avec la propriété et son inégalité. Mais cette réconciliation à son tour restera essentiellement précaire : en s’élevant au-dessus de toutes les déterminations de la nature, l’acte révolutionnaire avait ouvert un possible indéterminé qu’aucune politique ne pourra désormais ni oublier ni accomplir.

La nature cesse d’être le critère, la référence ou le modèle. Deux autres critères vont prendre sa place : l’histoire ou la liberté. Rousseau place à égale distance l’État et la société civile, et les englobe dans la société. Il aura fait sentir à l’homme moderne qu’il ne vit pas essentiellement dans un corps politique ou un État, ni dans un système économique, mais d’abord dans la société.

 

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