DSK: le malentendu franco américain

DSK n’est pas une victime d’une répression hors norme mais la représentation éloquente d’une civilisation radicalement différente de la France

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DSK: le malentendu franco américain

Publié le 24 mai 2011
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Dominique Strauss-Kahn passait il y a dix jours encore, en France et au-delà, pour un socialiste moderne, celui qui réussirait enfin, à faire passer la Gauche française du marxisme au mondialisme. Hélas ! Il aura suffi de dix minutes, l’écart infime entre son arrestation par la police new-yorkaise et l’envol de son avion pour Paris, pour révéler que DSK était un imposteur : un faux moderne qui s’est trompé d’époque et de pays.

DSK a cru qu’il vivait encore en un temps où les Grands de ce monde pouvaient agir en prédateurs sexuels et sans risque : au pire, la soubrette gardait le silence, au mieux elle remerciait pour la faveur du Prince. La révolution sexuelle et l’égale dignité des sexes aura, de toute évidence, échappé à DSK et à ses soutiens français : il est vrai qu’aux États-Unis, le harcélement sexuel est une crime plus grave qu’en France. De même, lui a échappé la révolution de l’information : à l’ère du Web, aucun acte inapproprié de cette nature ne saurait passer inaperçu des blogeurs et tweeters. Quelques minutes après son arrestation, les sites du monde entier bruissaient de ce scandale. Le temps n’est plus où les Puissants pouvaient acheter ou réduire au silence quelques journalistes. DSK est donc historiquement « dépassé » : que sa relation fut violente ou tolérée par la soubrette ne fait à cet égard aucune différence. L’ issue de son procès déterminera son destin personnel mais ne changera plus rien au fonds de cette affaire et à son inadéquation politique.

Et DSK a particulièrement mal choisi le lieu de son crime, imaginant peut-être qu’il se trouvait dans un hôtel parisien. Pas de chance, c’était New York : le silence et la complicité qui auraient été envisageables en France, aux États-Unis sont inconcevables. C’est ce que les Français ne parviennent pas à comprendre si on en juge par les réactions des commentateurs de gauche et de l’opinion publique en général tels que les sondages la mesurent : oui, l’incompréhension domine.

Les regards différents portés par les Français et les Américains sur l’inculpation de DSK révèlent combien ces deux sociétés sont distinctes.

Aux États-Unis, particulièrement à New York, et plus encore quand la victime présumée est une femme noire, les droits de cette victime présumée et sa parole l’emportent sur la présomption d’innocence du coupable accusé. Ceci étonne ou choque des Français, mais pas les Américains : c’est la victime possible que l’on écoute d’abord et qui est, a priori, la plus légitime. Les Américains vivent dans la crainte d’ignorer une victime, ce qui est clairement l’héritage d’un long passé de brutalisation des faibles, en particulier des Noirs. Les États-Unis sur ce terrain sont en permanente session de rattrapage : sans doute, une femme blanche dans des circonstances comparables, n’aurait-elle pas suscité la même compassion ni la même attention judiciaire. Il s’y ajoute une tradition journalistique d’essence démocratique, qui conduit les médias à toujours et spontanément prendre le parti des petits (the little guy) contre les puissants : en France, c’est plutôt le contraire. Les journalistes américains exercent un contre-pouvoir véritable tandis que les journalistes français se perçoivent comme étant eux-mêmes au pouvoir ou appartenant à l’élite dirigeante : les frasques de DSK (sexuels et financières) connues depuis des âges par les journalistes français n’étaient pas révélées, signe tangible de ce que les uns et les autres appartenaient au même monde, ou à la même Cour.

Autre différence essentielle entre la France et les États-Unis, si banale mais que l’on ne répétera jamais assez, tant c’est mal compris et peu intériorisé : les Américains sont spontanément démocrates tandis que les Francais conservent des réflexes plutôt aristocratiques. Il ne s’agit pas ici des institutions mais des mœurs, des comportements sociaux, ainsi que l’aura si bien et il y a si longtemps expliqué Alexis de Tocqueville. Mais Tocqueville est au programme des collèges américains, pas au programme de l’enseignement français. Quand en France, on cite Tocqueville sans l’avoir nécessairement lu, on commet souvent un contresens sur le mot Démocratie en ignorant que Tocqueville nous parle des moeurs plus que des mécanismes politiques.

C’est donc parce que l’Amérique est profondément démocratique ou s’emploie à l’être, que la police et la justice aux États-Unis veillent à traiter équitablement, parfois avec une même brutalité, les grands et les humbles de ce monde : DSK aura certainement été traité avec une sévérité singulière parce qu’il est un aristocrate de fait, par l’argent et le pouvoir. Que la police et le procureur (élu) témoignent envers lui de quelque égard particulier aurait été inconcevable dans une société qui s’affiche, se revendique comme égalitariste : jusqu’au moment où la négociation s’engage avec le juge, et l’argent alors fait la différence. En France, c’est évidemment l’inverse qui s’impose : les aristocrates de fait, soit parce que très honnêtes, soit parce qu’au dessus des lois, se retrouvent rarement en prison préventive. Aux États-Unis, la fortune et l’influence confèrent donc plus d’obligations sociales que de droits : DSK aura été malmené pour abus de pouvoir, autant que pour le crime qu’il a peut-être commis.

La police et la justice sont-elles plus rudes aux États-Unis qu’en France ? Il n’existe pas à ma connaissance d’indice de la brutalité policière mais, à crime égal, les sanctions judiciaires sont plus lourdes aux États-Unis. Cette sévérité tient paradoxalement au caractère multiculturel de la société américaine. Les législateurs et les magistrats aux États-Unis estiment qu’une société issue de cultures très variées ne peut survivre avec une certaine harmonie que si la règle du jeu, la loi, y est sévèrement appliquée : plus les États sont divers, plus l’immigration y est importante, New York étant particulièrement multiethnique, plus la police et la justice sont répressifs. Cette sévérité est une condition essentielle de l’ordre : ce qui est connu aussi sous le terme de « tolérance zéro » dont New York fut, dans les années 1980, le premier laboratoire.

DSK est donc « tombé » dans un monde qui lui est totalement étranger, incompréhensif et incompréhensible pour un aristocrate français. Ceux qui en France, souvent des intellectuels notoires, lui apportent leur soutien, à tort ou à raison, ne comprennent généralement pas comment fonctionne cette société américaine : DSK n’est pas une victime signalée d’une répression hors norme mais la représentation éloquente d’une civilisation radicalement différente de la France.

Article repris du blog de l’auteur avec son aimable autorisation

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