Qui joue avec la nourriture ?

Crise alimentaire : pourquoi les prix des ressources alimentaires montent-ils

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Qui joue avec la nourriture ?

Publié le 8 mars 2011
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Pourquoi les prix des ressources alimentaires montent-ils ?

On estime que notre espèce a franchi le cap du milliard de représentants en 1804, qu’en 1960 nous étions 3 milliards et que nous pourrions bien être 7 milliards dans les premiers mois de 2012. C’est-à-dire que la population mondiale a plus que doublé en une cinquantaine d’années. Nous sommes non seulement beaucoup plus nombreux mais nous consommons aussi beaucoup plus. Au cours des cinquante dernières années, le niveau de vie de nos semblables à pratiquement triplé. Jamais, dans l’histoire de l’Humanité, autant de gens ne s’étaient enrichis dans de telles proportions et aussi vite. Malgré la crise, le phénomène ne semble pas décélérer : le nombre de gens vivants dans la pauvreté absolue (avec moins de $1,25 par jour) est passé de 25,7% de la population mondiale en 2005 à 15,8% en 2010 – 459,6 millions de gens en cinq ans !

Face à cette gigantesque croissance de nos besoins alimentaires, l’agriculture mondiale a réalisé de véritables prouesses de productivité. La « révolution verte », liée à l’abandon des systèmes collectivistes, a considérablement augmenté le rendement des exploitations agricoles. Du matériel d’exploitation aux variétés plantées en passant par les fertilisants et l’optimisation des systèmes d’irrigation : les investissements réalisés en matière agricole ont entrainé un progrès technologique sans précédent. Les données de l’USDA sur la culture du maïs aux États-Unis sont tout simplement stupéfiantes : durant la saison 1959/60, les États-Unis ont produit 3,8 milliards de boisseaux de maïs avec une productivité moyenne de 53,1 boisseaux par acre cultivé. En 2009/10, la production a atteint 13 milliards de boisseaux – soit une augmentation de 242% – pour une productivité de 164,7 boisseaux par acre.

L’un dans l’autre, les prévisions malthusiennes des années 60/70 – et notamment les famines apocalyptiques prédites par Paul Ehrlich, l’auteur de la fameuse Bombe démographique (1968) – ne se sont donc pas réalisées (les malthusiens vendent beaucoup de livres mais leurs prévisions ont une fâcheuse tendance à ne jamais se réaliser) mais nous constatons tous depuis plusieurs années l’état d’extrême tension des marchés de produits agricoles. Signe des temps, ont voit fleurir ici et là des théories fumeuses mettant en cause de prétendus spéculateurs qui ne sont pas sans rappeler les « accapareurs » qu’on accusait volontiers lors des famines d’Ancien Régime avec, en complément, l’inévitable réchauffement climatique qui provoque des hivers froids, des pluies diluviennes et donc de mauvaises récoltes. Soyons clairs : les mauvaises récoltes sont aussi vieilles que l’agriculture et, sauf à démontrer que celles qui frappent aujourd’hui sont plus fréquentes ou plus destructrices que celles d’autrefois et que – de surcroît – elles sont bien liées à une modification des conditions climatiques, ces allégations ne sont rien d’autre que des affirmations gratuites. Quand aux fameux spéculateurs, ce sont pour l’essentiel des commerçants [1] qui achètent des denrées alimentaires dans les pays où elles sont abondantes et relativement peu onéreuses pour les revendre là où elles manquent cruellement et sont donc plus chères ; ce qui a principalement pour effet, justement, d’éviter des famines.

Et c’est justement là que le bât blesse : les prix alimentaires sont un enjeu politique majeur dans de nombreux pays et l’intervention des États a déjà et à plusieurs reprises prouvé son extrême nocivité. En 2008, par exemple, l’interdiction d’exporter du riz prononcée par le gouvernement indien alors que le marché était déjà particulièrement tendu avait violemment accentué la hausse des cours et déclenché une famine au Bangladesh. Une étude récente publiée par deux chercheurs américains sur les marchés mondiaux de matières premières agricoles trouve que les coûts de transaction –transport et barrières douanières – sont proches de ceux associés à un équilibre autarcique. D’après leurs calculs, si tout les pays alignaient leurs barrières douanières sur les niveaux des pays les plus ouverts aux importations, les baisses de prix à la consommation pourraient atteindre 57%. Jamais le commerce international de produits alimentaire n’a été aussi vital : fermer les frontières, dans un sens ou dans l’autre, permettra peut être à quelques pays de contenir provisoirement la hausse des cours mais ce sera au prix de famines dramatiques ailleurs dans le monde.

Autre imbécillité qui est pour le coup bel et bien liée au réchauffement climatique : les biocarburants en général et l’éthanol d’origine végétale en particulier. Pour rester dans l’exemple du maïs américain, sachez qu’en 2009, 35% de la production étasunienne de maïs ont été utilisés pour produire de l’éthanol destiné à la production de biocarburant. En d’autre terme, la production d’éthanol subventionné a absorbée à elle seule pratiquement 90% de l’augmentation de la production américaine des trente dernières années. En 2010, l’adoption du mélange E15 (15% d’éthanol pour 85% d’essence) par l’Environmental Protection Agency (EPA) a clairement démontré – s’il en était encore besoin – les effets dévastateurs de cette politique en provoquant une hausse des cours du maïs de près de 80%. Naturellement, cette flambée des prix incite les agriculteurs à planter du maïs à la place d’autres céréales – comme le blé – et entraînent, à leur tour, le prix des autres denrées alimentaires de base à la hausse sans parler des coûts de production des éleveurs bovins. Quand on sait, par ailleurs, que l’industrie des carburants à base d’éthanol n’est absolument pas viable sans subventions et procède à un lobbying éhonté pour s’attirer de nouvelles faveurs gouvernementales, on est légitimement fondé à demander à nos gouvernements d’arrêter de jouer avec la nourriture – surtout quand les voisins ont faim.

(Illustration René Le Honzec)

 

Vous avez entendu et entendrez encore des malthusiens vous expliquer que nous vivons dans un monde de ressources finies – ce qui est parfaitement exact – et que la croissance de la population mondiale provoquera inévitablement des pénuries à l’avenir. La meilleure réponse à cet argument m’a été soufflée par un spécialiste des marchés de matières premières : parier sur la hausse continue des cours ou la disparition des denrées alimentaires (ou du pétrole, de l’or, etc.), c’est parier contre l’ingéniosité humaine. Et ça, c’est un très mauvais pari. Nous pouvons faire face à ce défit et nourrir dans de bonnes conditions plus de 9 milliards de nos semblables et probablement même plus. C’est techniquement et physiquement possible mais il faudra pour cela que nos gouvernements cessent une bonne foi pour toutes de s’occuper d’agriculture et de distribution alimentaire (et s’intéressent, pour changer, à notre système judiciaire par exemple) et laissent les marchés fonctionner correctement.

Laissez faire ! Morbleu ! Laissez faire !

Note :

[1] Juste pour tordre le coup à une idée qui n’est que trop répandue, les hedge funds et autres traders achètent et vendent des produits dérivés – principalement des contrats futures – mais jamais les produits sous-jacents (sérieusement, vous imaginez un trader en costume-cravate réceptionner plusieurs tonnes de blé dans une salle des marchés de Wall Street ?) Quant à l’influence des dits produits dérivés sur le cours des matières premières, il est au pire négligeable et même plutôt stabilisateur si l’on en croit toutes les études menées sur le sujet.

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  • Bon article et la fin est excellente.

  • Pourquoi les prix des ressources alimentaires montent-ils ?

    Mais d’abord, est-ce qu’ils montent, et si oui, par rapport à quoi ?
    Parce qu’en réalité, les prix agricoles ne cessent de baisser. Certes, il se superpose à cette tendance baissière multiséculaire des oscillations comportant ponctuellement (dans le temps et l’espace) des hausses. Mais ce sont alors des hausses par rapport au point bas précédent. Poser la question « que faire pour que les prix cesse de monter ? » revient à se demander comment faire pour empêcher la mer de se vider dans le lac de montagne via le fleuve, parce qu’on observe que la marée fait périodiquement remonter le courant : c’est insensé.

    Concernant les biocarburants vous faites erreur. On peut, et même on doit, critiquer le fait qu’on les subventionne, mais on ne peut pas les accuser de faire monter les prix agricoles. Les bio carburants ne sont pas une production agricole, c’est une production industrielle, faite spécifiquement parce qu’on les subventionne. Et sans ces subventions, et bien les volumes correspondant n’existerait même pas, personne ne les produirait, parce que leur prix de revient est supérieur au prix de vente (sortie de ferme) d’une denrée alimentaire. Elle n’a donc aucun impact haussier sur les prix agricoles, n’en déplaisent aux alter-comprenant écolos-misérabilistes, dont vous ne devriez pas reprendre les calculs foireux (basés sur l’idée qu’on versent toujours les mêmes subventions, mais en déversant cette production de dumping sur le marché alimentaire) . Noter d’ailleurs que les subventions à cet agro-business sont tolérées par l’OMC : elles n’ont pas d’impact sur le commerce alimentaire international, ni en volume ni en prix.

    • Euh, aux USA, l’éthanol est fait avec du maïs. Donc oui, ça a un effet sur les prix du maïs (et donc de la viande et des sous produits animaliers). De plus, c’est bien pire qu’une question de subvention : il y a une quantité annuelle obligatoire d’éthanol à brûler dans les voitures (la cible, à terme, étant 36 milliards de gallons). C’est donc subventionné ET obligatoire.

      • non, non, non. Ca c’est un alter-raisonnement, tout faux. Sans la subvention et l’obligation d’incorporation, les agriculteurs ne produiraient pas ce maïs, et ne produiraient pas non plus du blé ou rien d’autre à la place (le maïs étant une commodité des moins cher à produire). Ils ne produiraient rien du tout, parce que leurs coût de production sont supérieurs à ce que le marché alimentaire offre, c’est à dire trop cher pour ce que les gens sont prêt à payer.

        Ce serait évidemment un problème pour les agriculteurs, et c’est bien ça qu’ils ont obtenus tous ces dispositifs qui leur assure non seulement un revenu, mais aussi la survie d’un outil de travail et la dignité (ou l’apparence…) de produire quelque chose d’utile.

        Mais pour les consommateurs alimentaires ça ne changerait rien.

        En tout cas « au premier ordre » ; il y a peut-être des chaines complexes de causalité qui induisent un effet, mais c’est de toute façon marginal et possiblement en sens inverse de ce qui est ici affirmé. En effet, subventions et soutiens pour la survie d’outils de travail augmentent la disponibilité et réduisent le prix (pas le contraire !). L’obligation d’incorporation a l’effet symétrique (réduire la disponibilité et augmenter le prix). La combinaison des deux a, en première approximation, un effet d’augmentation égal de la production et de la consommation et a peu près neutre sur les prix.

        • Non, je ne pense pas que rien, de tout le maïs distillé en éthanol, ne serait produit sans ces mesures. Tant qu’il peut être vendu à profit. Les députés qui ont fait passer ces lois pour leurs électeurs agriculteurs ne l’ont pas fait pace que, sinon, ça ne se vendait pas du tout, mais pour qu’ils gagnent encore plus. Votre interprétation, selon laquelle ces terres seraient en jachère, reste à prouver.

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